LA GRAVURE DE 1618 D'ÆGIDIUS MARISCHAL, PEINTRE LIÉGEOIS, REPRÉSENTE-T-ELLE LA VILLE DE LIÈGE ? (1ère Partie)

Publié le par sorinabarjov

 

ÉLÉMENTS SERVANT DE BASE DE DISCUSSION POUR POUVOIR EN JUGER (par Feu Willy BADA, bibliophile sérésien)

Cette gravure a été découverte par hasard par l'auteur de ces notes dont la rédaction était inachevée à sa mort et qui avait demandé mon aide d'historien pour présenter sa découverte au public.


La gravure se trouvait dans le dos d'un tableau sans grande valeur acheté par notre amateur.

Ignorant ce qui pouvait se cacher dans le dos du tableau, il en démonta le cadre pour procéder à un nettoyage et tomba sur la gravure dont seul le verso apparaissait aux yeux des amateurs d'antiquités.

Cette gravure prétendait être une vue de “LIÈGE - LEVCK” de 1618. J'insiste sur le fait que ces notes sont l'oeuvre d'un amateur d'art qui a été poussé par la passion d'identifier sa découverte et de la faire valoir. Il a donc pu en exagérer l'importance dans l'histoire liégeoise. Au lecteur d'en juger...

Mais laissons la parole à Feu Willy Bada :

"Il y a peu d'exemples comparables, dans l'iconographie topogra­phique, à "La grande vue de Liège", de Gilles Marischal. En effet, les dimensions inusitées de cette gravure en font la plus monumentale jamais réalisée à la gloire d'une cité qui cependant est réputée pour avoir suscité au cours des siècles, l'intérêt d'artistes prestigieux. Guichardin, Braun et Hohenberg, Merian, G. et J. Blaeu, Julius Milheuser, Wenzel Hollar, Perelle, Probst, pour ne citer que les meilleurs, qui se sont attachés au "visage de Liège". Et d'autres encore, les cartographes Ortélius, Hondius, Bussemecher, Monte Calerio, Sanson, Le Fer.

Évoquons les dimensions exceptionnelles de cette "Grande vue de Liège", elles correspondent à H. 0 m 400 X L. 2 m 050 !

Effectivement, le dessin embrasse le site depuis Saint-Maur, "Là où on a eu pros­pect de la Cité", comme le note l'auteur à même la planche, jusqu'au delà de Herstal...

Étant donné l'époque, - le premier quart du XVIIe siècle, - Aegidius Marischal est un précurseur en "perspective cavalière", ce que les techniciens américains du cinéma appelleront trois cents ans plus tard le scope, ce qui veut simplement dire "envergure", "champ". Vraiment, l'envergure de cette estampe est telle qu'il n'est pas possible de la saisir, de l'embrasser d'un seul regard. Elle est en quatre parties, numérotées de 1 à 4, gravée sur cuivre.

Aucun amateur d'estampes liégeoises digne de ce nom n'ignore l'existence de la gravure "Liège - Levck" d'Aegidius Marischal, pictor Leodii, 1618, soit pour avoir lu sa description dans l'ouvrage du capitaine Dejardin ou dans des catalogues de librairie, l'avoir vue en reproduction ou en copie ou, peut-être, - ce qui est mieux, - être allé admirer l'Unicum à la Bibliothèque de l'Université de Leyde (Collection Bodel Nijen­huis) en Hollande.

La découverte fortuite de cette gravure chez un antiquaire m'a permis de l'acquérir et de compléter ma collection par une pièce enviable, enviée, rare. Cette estampe possède une telle aura qu'elle a suscité ma légitime curiosité d'amateur et j'ai tenté d'en mieux connaître l'histoire.

Mon exemplaire est une vue en perspective cavalière (H. 0m 400 X L. 2m 050) "Liège - Levck" (1).

Sur le même plan, au bas de la planche, vers la droite, en petits caractères : "Iohan Veenen fec.".

Plus loin encore, vers la droite, en plus gros caractères : "Gerrardus Alzenbach exc.".

On sait généralement, par les commentaires ou les notices descripti­ves des catalogues, que le chanoine Nicolas Henrotte en est l'inventeur (2), puisqu'aussi bien, d'après ces sources, "il l'a découverte en 1877, à la Bibliothèque de l'Université de Leyde" (3).

On souligne également qu'il en a fait prendre une copie et qu'au départ de celle-ci, on a tiré une lithographie dont on ne connaît plus aujourd'hui que quelques exemplaires. Le Musée Curtius de Liège en possède un (4).

Après consultation de documents d'archives et d'ouvrages spéciali­sés, le premier objectif a été de vérifier au Musée Curtius la lithographie signalée par le bibliophile Eugène Wahle (5).

Au Curtius, dans la Salle du Médailler, j'ai bien trouvé une vue de Liège, mais pas celle annoncée par Wahle. Le document exposé est vraiment la vue "Liège-Levck" de Marischal, 1618. Mais ce n'est pas une lithographie, c'est un dessin à la plume où on relève sur une étiquette le texte suivant : "Vue de Liège. Dessin à la plume par Léon Bethune, d'après la gravure du XVIIe siècle, inv. : 65/128". À même le dessin, dans le coin inférieur gauche, de la main de l'auteur on lit : "Copié à Liège en 1878. Léon Bethune".

Les dimensions de cette oeuvre sont celles de l'original de Leyde (H. 0m 400 X 2m 050), en quatre feuilles.

Devant cette planche, qui ne correspond pas du tout à la description de la notice du catalogue du Millénaire de la Principauté de Liège (6), je me suis trouvé dans un grand embarras qui s'est rapidement transformé en une extrême perplexité.

Ou bien Eugène Wahle s'est fié à une source écrite et n'en a pas vérifié la crédibilité, ou peut-être a-t-il raison. Mais alors, qu'est devenue l'épreuve lithographique "suivie d'une légende tirée d'après la copie exacte bien que simplifiée" (7), que fit prendre le chanoine Henrotte ?

Pourquoi l'auteur de la notice en cause n'a-t-il pas indiqué l'existence du dessin original de Léon Bethune ?

Perplexe sans doute, mais décidé à pousser plus loin l'investigation, je me suis ouvert de mon trouble à M. Engen, Conservateur du Musée Curtius. Celui-ci m'a assuré qu'il existait un autre exemplaire de cette gravure dans les réserves du Musée ; qu'il me préviendrait dès qu'il l'aurait repérée et me donnerait alors l'occasion de l'examiner.

Ce jeune et dynamique chercheur m'a écrit très rapidement, après notre entretien, dans les termes suivants :

"...j'ai recherché, comme promis, le tirage de la Vue de Liège par "Marischal, de 1618. Il s'agit d'une épreuve exécutée par l'Imprimerie Claesen à Liège, en deux parties, reproduisant intégralement le dessin de Bethune, "copié à Liège en 1878".
Cette gravure est conservée en réserve au troisième étage de la "Maison Curtius. Je la tiendrai à votre disposition pour étude, lors "de votre prochaine visite au Musée."

Je me suis rendu à l'invitation de M. Engen et j'ai examiné le document. Cette vue de Liège était bien la lithographie signalée par Wahle, avec 97 légendes numérotées et repérées (la 96e manque). Cette pièce est réduite par rapport à l'original de Leyde. Elle mesure : H. 595 X L. 1970. La dimension en hauteur est plus grande que celle de la gravure de Leyde. Cela s'explique par la composition typographique du tableau des légendes sous la vue.

Dans le coin gauche, en bas à l'intérieur de la gravure, on peut lire : Copié à Liège en 1878. Léon Bethune". Sous l'encadrement au trait de la gravure, dans le coin gauche, en caractères d'imprimerie : "Léon Bethune del. et ed.". Dans le coin droit, à même niveau et dans les mêmes caractères : "Imp. Ch. Claesen. Liège".

Que conjecturer de tout cela ? Que penser du dessin de Léon Bethune (Salle du Médailler) ?

Ainsi que je l'ai signalé plus haut, on sait par différentes sources, et notamment par les notices consacrées à l'étude de cette vue de Liège par Eugène Wahle (8), que le chanoine Henrotte aurait découvert l'original à Leyde en 1877.

En 1882, cet homme d'Église a publié un article utile à nos recherches (9) :
"L'Institut Archéologique [Liégeois] a accueilli en 1860 et a permis d'insérer "dans son Bulletin un travail intitulé : "Recherches sur les cartes de "la Principautéde Liège et sur les plans de la Ville, par A. Dejardin, Capitaine du génie. Monsieur Bodel-Nijenhuis, ancien libraire et amateur distingué de la Ville de Leyde, ayant lu cet opuscule, s'empressa d'informer l'auteur qu'il possédait un ancien plan de Liège, en quatre feuilles et portant les inscriptions suivantes : "Aegidius Marischal pictor Leod. delineavit, 1618, Johan Veenen fecit. Gerrardus Alzenbach excudit".
Cette pièce fut renseignée et décrite dans un Supplément aux Recherches, dans le Bulletin, t. 5, p. 199."

Cette lecture suffit à établir que c'est A. Dejardin qui, le premier à Liège, a connu l'existence de l'estampe de Marischal, et non le chanoine Henrotte, n'en déplaise aux auteurs qui lui en attribuent la découverte. Ce qui est établi, c'est que le chanoine s'est chargé des formalités en vue d'obtenir copie de l'Unicum. Le texte de la suite de l'article ne laisse aucun doute à ce propos.
Lisez plutôt :
"Un plan de Liège d'une date aussi reculée et d'une si grande dimension (il mesure deux mètres en longueur) devait exciter la curiosité et la convoitise des archéologues liégeois ; aussi nous nous adressâmes à M. Bodel pour lui faire des propositions ; mais il nous répondit qu'il ne voulait à aucun prix se dessaisir de cet Unicum.

Quelques années plus tard, le propriétaire de ce plan étant décédé, ses nombreuses et intéressantes collections étaient livrées aux enchères. Comme le plan de Liège ne figurait pas dans les trois catalogues publiés à cette occasion, des doutes s'élevèrent sur son existence. Le libraire Muller, qui avait dirigé la vente, voulut bien nous faire savoir que le plan existait et qu'il était conservé à la Bibliothèque de l'Université de Leyde, à laquelle M. Bodel avait légué ses collections géographiques. Et grâce à l'extrême complaisance et à l'habile direction de Monsieur W. du Rieu, docteur en droit et conservateur de la Bibliothèque de Leyde, nous sommes en possession d'une excellente copie de l'oeuvre de Gilles Marischal. Et pour qu'il ne reste aucun doute sur son authenticité et sa parfaite exactitude, nous donnons un extrait de la lettre que cet estimable bibliothécaire a bien voulu nous adresser...":
"...Samedi passé mon dessinateur m'apporta la quatrième ou dernière feuille. Ce n'est que hier que je réussis à donner quelques moments pour collationner l'ouvrage ; car je ne voudrais pas vous livrer ce travail sans m'être persuadé qu'il est fait comme il faut. Eh bien, le résultat en est très favorable. Le dessinateur n'a absolument rien oublié et il a conservé tout-à-fait le caractère de l'original.
Vous recevrez donc, Monsieur, un fac similé complet et parfait, qui vous fera juger de la valeur de la gravure. Je suppose que vous serez content et je vous félicite de la belle acquisition que votre collection va faire. Monsieur Muller vous écrit en même temps.
Je ne doute pas que l'affaire ne soit terminée à votre grande satisfaction, et je suis bien aise de vous avoir fourni l'occasion de vous enrichir d'une si belle pièce..." (N. Henrotte).

Si la lecture de la lettre envoyée par le conservateur de la Biblio­thèque de Leyde au chanoine Henrotte, rapportée par ce dernier dans son article, est intéressante, elle soulève une interrogation. Le dessin de Léon Bethune, du Musée Curtius, est conforme, tant pour les dimensions que pour l'esprit et la lettre à l'original de Leyde. Pour autant que l'on puisse bien juger, - en comparant des choses qui ne sont guère à la même échelle, - d'après le document édité par les éditions Mercator en 1967 pour le livre de Jean Lejeune, Liège, de la Principauté à la Métropole.

Mais où le bât blesse, c'est que sous le nom de l'artiste, on relève la mention : "Copié à Liège en 1878" !

Si cette oeuvre a été copiée à Liège, il ne peut donc s'agir du dessin "copié à Leyde" (sur l'original), dont l'article du chanoine Henrotte fait état. Cette observation paraît d'autant plus plausible que M. W. du Rieu dit "mon dessinateur", insiste sur la qualité du travail exécuté et se flatte, après "l'avoir collationné", de livrer "un fac similé".

Il faut remarquer que si N. Henrotte ne cite pas le nom du copiste, M. du Rieu non plus.

(à suivre)

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NOTES :
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(1) Voir la reproduction de l'oeuvre originale conservée à l'Université de Leyde dans J. LEJEUNE, Liège, de la Principauté à la Métropole, Édi. Fonds Mercator, Anvers, 1967.

(2) Eugène WAHLE, Liège dans la gravure ancienne et moderne, Librairie Halbart, Liège, 1974, p. 12. (cfr Bulletin de l'Institut Archéologique Liégeois, t. 5, 1882, p. 85 et p. 199 [209] : 1618, n° 5 ter).

(3) Ibidem.

(4) E. WAHLE, Millénaire de la Principauté de Liège. Liège et la Principauté dans la gravure ancienne, XVIe - XIXe siècle, Introduction et notices, Liège, 1980, p. 15, n° 14 (cfr Vues de Liège, Exposition de cartes, plans et vues de Liège, Impr. du journal La Meuse, 1907, p. 9, 10 bis.

(5) Voir note 4.

(6) Cfr note 4 ; - Ibidem, p. 15, n° 14.

(7) Voir note 6.

(8) WAHLE, Op. cit., cfr notes 1 et 2 supra.

(9) B.I.A.L., t. 5, 1882, p. 85.

 

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