LE PAYS DE LIÈGE ET LA FRANCE - L'APRÈS RÉVOLUTION LIÉGEOISE (2de Partie) : le retour des Patriotes à Liège (1792-1793)

Publié le par sorinabarjov

 

Attention à la version polonaise et à la russe de ce texte, exécutées à mon insu : elles contiennent des erreurs dues à la traduction dite "automatique", fatalement approxilative. Ne citez que la version française, qui m'est vraiment personnelle.

 

 

 

260px-Bataille Jemmapes

Bataille de Jemappes


Dès avant l'entrée des Français à Liège, le peuple s'était porté à l'Hôtel de  ville pour y réclamer les clefs magistrales (symboles du pouvoir des Bourgmestres), puis sans désordre avait libéré les détenus politiques de la prison Saint-Léonard. La Gazette nationale liégeoise, ancienne gazette  privilégiée dont le progressiste Desoer avait repris l'édition, rendit hommage au calme et à la dignité des Liégeois, ainsi qu'à la discipline des Français. Le 4 décembre 1792 on planta un arbre de la Liberté.

La collaboration des Liégeois avec les Français fut immédiate : propagande idéologique des clubs politiques et des "missionnaires", implantation de municipalités révolutionnaires, élections fiévreusement décidées et organisées, mise sur pied d'une assemblée nouvelle issue de l'élection au suffrage universel, facilité relative avec laquelle les collaborateurs des premiers moments passèrent de la conception d'une sauvegarde de l'État liégeois rénové à la conception de l'intégration ou de la réunion à la République française.

L'idée d'une réunion avec la France avait été émise par les Franchimontois au Congrès de Polleur de 1790 et par Fabry père en août 1791, qui en fit dès le 4 décembre la proposition à Dumourier, accueillie très fraîchement. Projet qui ne fut pas annoncé publiquement aux Liégeois lors du retour des Patriotes. Une proclamation de Fabry du 4 novembre se bornait à invoquer la protection de la République et le 6 décembre au Club des Sans-Culottes Camus et Gossuin, commissaires de la Convention, reconnurent la liberté et l'indépendance du peuple liégeois. En effet, si des Liégeois avaient collaboré à Paris, avec des politiciens et un banquier originaires des Pays-Bas autrichiens, au sein du "Comité des Belges et Liégeois Unis", il faut bien avouer que ces maigres conciliabules n'avaient eu à Liège aucune influence1.

Dans la préparation de l'opinion liégeoise à l'idée de la réunion à la France républicaine, le rôle des sociétés populaires fut essentiel.

La Société éburonne avait été fondée par Bassenge aîné en 1787. Elle groupait tous les futurs chefs de la Révolution. En 1790 elle devint la Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité, présidée par le Liégeois Lebrun, dit "Lebrun-Tondu", futur ministre girondin français, qui sera guillotiné avec les célèbres fédéralistes proscrits après les Journées des 31 mai - 2 juin 1793. Ce club jacobin fut dissout par les baïonnettes autrichiennes en 1791, au retour du Tyran mitré. Le 30 novembre, après les victoires militaires françaises, elle reprit ses activités, en présence de Dumourier et de son état-major ; présidée par Soleure, un de ceux qui applaudiront plus tard à la "chute de Robespierre"2. La Société s'efforça de se démocratiser par rapport à ce qu’elle était pendant la Révolution liégeoise : elle abaissa son droit d'inscription de 12 à 5 florins3.

Les Français Bernezet et Bonne-Carrère intervinrent à plusieurs reprises lors des réunions de la Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité, mais seuls des Liégeois composèrent les Comités chargés de préparer les décisions concernant la nouvelle organisation du Pays de Liège.

 

200px-Rouillard - Dumouriez

Le Général Dumourier, qui plus tard trahira la République

 

Au projet d'adresse au peuple de Bonne-Carrère on substitua un texte plus modéré, qui mettait l'accent sur le rôle de pacification que jouerait une Convention nationale liégeoise :  prévenir l'anarchie "en substituant le régime des lois au caprice et à l'arbitraire du pouvoir tyrannique". On voulait prendre Paris pour modèle, aussi pour se donner un nouveau règlement intérieur on demanda communication de celui des Jacobins parisiens et on proposa d'entretenir avec eux une correspondance fraternelle4.

À Liège une seconde société populaire fut créée, le 4 décembre 1792, dans le quartier d'Outremeuse, dans l'église des Récollets, en présence du général Dumourier, de Camus et Gossuin, commissaires de la Convention nationale. Ce club prit le nom de Société des Sans-Culottes, il était beaucoup plus radical que celui des Amis de la Liberté et de l'Égalité, dont il se sépara après une brève collaboration qui était l'œuvre de Dumourier5.

Claude Payan (qui finira sur l'échafaud avec Robespierre), alors administrateur de la Drôme, avant de devenir agent national au temps de la Commune robespierriste, fournit un article à Bassenge pour le Manuel du Républicain, qui en fit le commentaire : le Français y mettait en garde contre le "danger d'anarchie" que pouvaient provoquer les sociétés populaires "comprenant mal leur rôle", notamment en agitant le peuple au lieu de l'instruire, faisant ainsi le jeu des aristocrates par leurs outrances6.

Les travaux de la Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité portèrent sur la réorganisation des administrations locales dans le Pays de Liège, sur la propagande révolutionnaire et sur la préparation du vote de réunion à la France.

Dès la première séance de ce club, un comité présidé par le Franchimontois Brixhe eut pour tâche de rédiger rapport sur l'établissement d'un corps administratif provisoire pour la Commune de Liège : on décida le rétablissement provisoire de la Municipalité révolutionnaire de 1790 et la convo­cation rapide des Sections en vue de l'élection d'une nouvelle municipalité et de députés à une Convention liégeoise. On décida aussi la suppression des charges aristocratiques et dispendieuses de Bourgmestres et de les remplacer par un Président élu par la Municipalité7.

L'institution communale mise en place révolutionnairement en 1790 reprit ses fonctions le 2 décembre 1792. La société populaire des Amis de la Liberté et de l'Égalité lui assigna pour tâche de désigner des candidats membres à la Convention nationale liégeoise, fixa à cent vingt le nombre des députés à élire (dont vingt pour Liège, ses faubourgs et sa banlieue), envoya dans les campagnes des "missionnaires" chargés d'instructions relatives au mode d'élection, qui partirent seulement le 20 décembre tant durèrent les discussions relatives à leur statut et à l'adresse à communiquer au reste du Pays. Le 30 décembre une nouvelle Municipalité fut élue, qui administra le Pays en attendant que la Convention fût constituée :  trente administrateurs provisoires pour Liège, ses faubourgs et sa banlieue ; ses tâches furent réparties entre des comités renouvelables8.

La société populaire décida la division du Pays en treize circonscriptions électorales, précisant le nombre des députés à élire et les modalités du vote que devaient faire respecter les envoyés en mission. Les instructions données aux "missionnaires" témoignent du souci de procéder honnêtement aux élections : lecture préalable de l'adresse, formation des assemblées, établissement de scrutateurs (assesseurs), etc...9

On remit sur pied la garde nationale sur le modèle de celle de 1790. Un comité composé de plusieurs officiers des milices bourgeoises de cette année-là fut chargé de faire un rapport qui aboutit à la publication d'un nouveau règlement des gardes nationales (31 décembre 1792) : dans chaque Section les citoyens devaient se grouper en compagnies de soixante volontaires. La  Municipalité remercia la Société d'avoir pris cette initiative10.

Cette Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité œuvra aussi à diffuser les idées républicaines, tant à Liège même que dans le Pays de Liège tout entier. Elle invita les citoyens à venir en masse à ses séances dont elle fit publier chaque jour le compte rendu dans la Gazette nationale liégeoise.

Le 10 décembre la Société fit traduire en flamand la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Les missionnaires furent chargés de distribuer des exemplaires du décret de la Convention du 19 novembre 1792. Le 17 suivant, elle décida de consacrer une séance supplémentaire, le dimanche, à lire publi­quement des papiers patriotiques et autres écrits "propres à extirper l'erreur et les préjugés". Elle reçut de l'imprimeur Tutot un don de cinq cents exemplaires de l'Almanach de Collot d'Herbois à répandre dans les campagnes11.

À cette activité de propagande se rattachait la publication par Bassenge du bimensuel Manuel du Républicain : comptes rendus des séances de l'Administration du Pays de Liège, proclamations de la Municipalité, articles provenant de journaux, de brochures et de livres français, pamphlets anticléricaux, "dialogues philosophiques", agrémentés de conseils pratiques donnés aux agriculteurs, que l'on voulait se rallier12.

Le Pays de Franchimont prit l'initiative du vote de rattachement du Pays de Liège à la France : dès la fin décembre 1792, assemblées municipales, congrès et réunions populaires manifestèrent par acclamations leur désir de s'intégrer à la République française. Les villes de Spa et de Theux convo­quèrent leurs habitants le 23 décembre afin d'établir les bases d'une nouvelle organisation sociale, on vota la réunion à la France, ce qui fut approuvé le 26 décembre par le Congrès franchimontois sous réserve de ratification par ses commettants, ce qui fut fait dans le courant de la première semaine de janvier. La ville de Verviers fit de même les 1eret  6 janvier 1793. Ce geste fut aussitôt imité par quelques communes de la principauté abbatiale de Stavelot-Malmédy, qui avait connu une révolution parallèle13.

Le 31 décembre 1792 Brixhe vint annoncer à la  Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité  la décision de réunion à la France prise par les villes de Spa et de Theux14. Bien que la Société fût impressionnée, l'unanimité ne fut pas obtenue quant à la décision à prendre. Certains membres voulaient inviter les communes du Pays à se prononcer sur la réunion au moment où elles désigneraient leurs représentants à la Convention nationale liégeoise ; d'autres préféraient remettre après les élections leur décision de réunion à la République ; d'autres encore temporisaient, n'osant déclarer leur avis sur la question. Bassenge aîné fut chargé de présenter un rapport, qui fut approuvé, imprimé et distribué, base sur laquelle la Municipalité appela le Pays au vote : Rapport fait à la Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité sur cette importante question : le Pays de Liège doit-il être réuni à la France ? Après avoir décidé de se séparer de l'Empire, étant à lui seul trop petit et trop faible, le Pays de Liège ne peut que s'unir à la France, d'autant qu'une union avec les Belges n'est pas envisageable vu la nature de leurs "principes".

De plus on pourrait demander à la France d'indemniser les victimes de la Réaction, de se charger de la dette du Pays de Liège et de renoncer aux assignats pour le paiement des opérations financières antérieure à la Réunion. Ces conditions mises par les Liégeois provoquèrent la colère des Franchimontois, qui avaient voté la réunion pure et simple, et celle des Commissaires de la Convention, qui les trouvèrent injurieuses pour la République. Néanmoins les Franchimontois réussirent à amener une partie des membres de la Société populaire à transmettre une pétition à la Municipalité, réclamant pour le 13 janvier 1793 le vote des Sections concernant la réunion pure et simple à la République. Au vu des signatures apposées sur l'original de cette pétition on remarque que le président et plusieurs membres du Club des Sans-Culottes  avaient aussi fait pression sur la  Société des Amis de la Liberté et de l'Égalité, dont le président, l'ex-chanoine Lhoneux, signe en même temps que celui des Sans-Culottes et que les extrémistes les plus notoires, l'ex-prêtre Demany, le chevalier de Behr et le notaire Nahon15.

À la demande de la Municipalité, Bassenge rédigea une Instruction aux bons citoyens, qui  appelait à voter pour le 20 janvier 1793. Le vote secret fut décidé, pour qu'on ne puisse pas dire que l'armée française, par sa présence, avait influencé les électeurs. Les Sections votèrent donc le 20 janvier, sauf trois d'entre elles, qui avaient déjà voté le 13, satisfaisant le désir des Sociétés populaires. On s'employa alors à hâter le vote des Bonnes villes et des campagnes, œuvre de soixante "mission­naires", membres de la Municipalité de Liège, élus à la Convention nationale liégeoise, et "volon­taires" tirés de leur sein16.

À Liège les Sections avaient pris des noms significatifs : Section des Marseillais, des Sans-Culottes, Section Française, Dumourier, du Dix-Août. Les élections se firent de manière très démocratique : toute contribution électorale avait été abolie, les hommes étaient électeurs et éligibles à partir de dix-huit ans. Les électeurs se réunirent dans les églises, les cloîtres, et les chapelles de la cité de Liège, des villages et des hameaux de sa banlieue, sous la direction des présidents des Sections. Au vu des procès-verbaux, on peut dire que l'armée française n'était pas sur les lieux du vote pour influencer les électeurs. Le scrutin secret avait d'ailleurs été recommandé avec insistance. Pourtant il est mentionné seulement dans les procès-verbaux de dix-huit Sections. Dix-huit autres votèrent par acclamation, par chapeau levé ou par appel nominal, tandis que vingt-cinq ne mentionnent pas leur procédé de vote. Sur 9700 votants, 50% de l'effectif électoral, il n'y eut que 40 votes négatifs. 7548 votèrent pour la réunion accompagnée des cinq réserves émises par la Municipalité (surtout la question de la dette), 1548 pour la réunion pure et simple, le reste pour la réunion avec une partie des réserves. Jamais les Sections n'avaient été aussi nombreuses à voter. Lors des élections à la Convention nationale liégeoise il y eut 4837 et 8575 électeurs, alors que c'était la première application du suffrage universel à Liège ; le 30 décembre 1792, 7113 votants avaient participé aux élections municipales. Une fois acquis le vote de réunion à la France républicaine, la Municipalité en avertit le général Miranda, qui le fit savoir à la Convention. Le 2 février Danton proposa la réunion immédiate du Pays de Liège. Cependant la Convention choisit d'attendre la réception des procès-verbaux confirmant le vote des Liégeois17.

Les Bonnes villes et les campagnes liégeoises votèrent seulement en février. Les citoyens rassemblés entendaient d'abord lecture de l'adresse de la Municipalité de Liège. Aucune présence française n'est signalée par les procès-verbaux des opérations. Le scrutin secret fut utilisé, surtout dans les districts dit d'Outremeuse (de Visé). Les votes furent positifs en très grande majorité. Mais dans les districts de Condroz, de Hesbaye, de Stockem et dans le quartier de Huy, on pratiqua le vote par acclamation, par appel nominal ou par "rangement à droite ou à gauche. Le quartier de Huy ras­sembla proportionnellement le moins de votants ; une certaine opposition s'y manifesta, surtout par le refus de participation montré par des fractions importantes de plusieurs assemblées de citoyens, plus que par le nombre de votes négatifs. Dans ce quartier de Huy, très conservateur, Amay (qui possède sa société populaire) et Jehay (municipalité où s'active le révolutionnaire Behogne, future victime de la Réaction en 1793-1794) font figures d'exceptions favorables à la réunion à la France.  À part dans le district de Stockem, où firent du zèle les révolutionnaires Lambrechts et Baelen, les régions flamandes de la Principauté ne votèrent pas : elles s'étaient déjà montrées défavorables à la Révolution liégeoise en 178918.

Le 21 février 1793 seulement l'Administration provisoire se réunit enfin. Elle conclut que la consultation électorale s'était manifestée en faveur de la réunion à la France. À  ce moment plus de la moitié des communes campagnardes avaient voté, de même que sept villes (Liège, Verviers, Huy, Couvin, Visé, Dinant et Waremme) et trois gros bourgs. Sur 21.519 suffrages recensés, il n'y avait eu que quelques dizaines de votes négatifs : 14.103 avaient voté la réunion assortie des cinq réserves et 5.298 la réunion pure et simple. L'Administration provisoire, qui avait déjà émis son vœu pur et simple de réunion à la France le 17 février, proclama le 22 celui du Pays de Liège tout entier. Restait le problème de l'adresse à remettre à la Convention nationale de Paris. Les Franchimontois menacèrent d'envoyer leurs propres députés à Paris pour signifier leur souhait de réunion pur et simple. L'Administration provisoire en fut très embarrassée, elle subit les pressions des Commissaires de la Convention, Chaussard et Delacroix, mais elle s'accrocha aux fameuses réserves, surtout concernant les assignats ; donc elle recommanda à ses députés de rencontrer d'abord les membres du Comité diplomatique de Paris, afin d'éviter tout mécontentement de l'opinion liégeoise19.

On porta ensemble  à Paris les vœux du Pays de Liège et celui du Franchimont, mais le 2 mars 1793 la Convention opéra entre les deux décisions une discrimination tout à fait inévitable : le vœu du Franchimont fut entériné d'office, tandis que l'on prétendit attendre l'arrivée des procès-verbaux pour le reste du Pays de Liège. Il fallut attendre le 3 mai suivant, alors que les soldats français avaient quitté le Pays de Liège depuis un bon moment, pour que la Convention nationale française prononçât la réunion du Pays de Liège à la France. Le 17 février 1793 la Convention nationale liégeoise était devenue l'Administration provisoire du Pays de Liège, car on avait entre-temps appliqué le décret du 15 décembre 1792, qui d'ailleurs n'avait pas été critiqué officiellement par les Liégeois20.

Le 4 novembre 1792 une proclamation de Fabry aux Liégeois avait affirmé le principe de la liberté économique. Les droits de douane furent supprimés entre la Principauté et les Pays-Bas autrichiens (5 décembre 1792 et 26 janvier 1793) ; mais, exigence de la guerre, on mit l'embargo sur les marchandises à destination des Provinces-Unies (Hollande), ce qui mécontenta les cloutiers, qui harcelèrent de leurs plaintes la Municipalité. On procéda à des réquisitions : grains, fourrages, planches, voitures, matériel nécessaire aux fabrications d'armes. Le 15 janvier 1793 la Municipalité offrit à la Répu­blique les plombs de la Cathédrale, dont elle avait décrété la démolition. Réquisitionnés par l'armée française, ouvriers et charretiers s'étaient mis en grève les 10 et 14 janvier. Ronsin (futur général de l'armée révolutionnaire qui sera guillotiné avec Hébert procureur de la Commune de Paris) fit main basse sur l'argenterie des églises liégeoises et sur la caisse de Parfondry, Trésorier des États21.

Contre toute attente, violant les stipulations du décret du 15 décembre 1792, la Municipalité liégeoise maintint tous les impôts de l'État liégeois. L'armée française aida à leur prélèvement. On ne supprima que les impôts établis par l'Évêque en 1791-1792 lors de sa restauration. Les assignats, sans aucun crédit dans le Pays de Liège, servaient, là comme ailleurs en France républicaine, à payer les réquisitions. On mit sous séquestre les biens du Prince et de ses partisans, y compris ceux des commerçants prétendument "en voyage d'affaires". Les Sans-Culottes réclamaient la vente immédiate, contre assignats, des biens du clergé, des émigrés et des corporations22.

Dans son jugement critique concernant la polémique entre le jacobin français Publicola Chaussard, commissaire de la Convention, et Bassenge aîné au sujet de l'autonomie laissée aux Liégeois par l'existence de l'Administration provisoire (dont se plaint Chaussard), l'historienne Jeannine Lothe commet deux erreurs. Premièrement elle n'a pas le droit de prendre parti pour Bassenge. Elle le fait sans doute en partisane, parce qu'il est liégeois comme elle,  -  à l'époque de ses recherches, cette dame était l'assistante du professeur liégeois Demoulin. Deuxièmement elle n'a pas compris, − ou voulu comprendre, − ce qui apparaît pourtant très clairement à un œil critique : que l'Administration provisoire constituait un risque de fédéralisme au sein de la jeune  République française, or nous étions au moment crucial où les Montagnards affrontaient les Brissotins, ou fédé­ralistes (appelés plus tard Girondins à cause de l'oeuvre de Lamartine), qui semaient partout le vent et le feu de la révolte désorganisatrice. Cette Administration provisoire ne constituait donc pas vraiment le "parti français" à Liège, mais bien plutôt un parti "crypto-prussien" : voilà pourquoi elle n'était pas en odeur de sainteté aux yeux de Publicola Chaussard23.

Les historiens "belges" se plaignent des réquisitions dont furent victimes les populations des pays occupés par les armées de la République. Mais ce triste sort fut aussi le lot des populations de la République elle-même. Celle-ci avait une armée qui manquait de tout. Dans une lettre de Liège lue à la Convention le 8 décembre 1792, les commissaires Gossuin et Camus signalaient qu'il fallait rapidement pourvoir aux besoins de la caisse militaire, que l'hôpital de l'armée présentait un spectacle affligeant et que les soldats étaient mal habillés. Les deux commissaires déclaraient ne pas encore avoir découvert la cause de tous ces maux. Mais dans la même missive nous voyons Dumourier rejeter les torts sur le Ministre de la guerre24. Dans une lettre de Liège, datée du 23 décembre, Camus fit part à la Convention des plaintes liégeoises au sujet des brigandages et des pillages commis par des soldats français et liégeois et indiquait les moyens d'y remédier25.

         Mais en mars 1793 les défaites militaires françaises (notamment Neerwinden) mirent fin à l'optimisme des Liégeois qui, depuis des siècles, attendaient d'être réunis à la France. Pour échapper à la hache du bourreau il fallut partir, archives en tête, pour rejoindre la Grande Nation qui venait de se faire République.

 

200px-François-Antoine de MéanFrançois-Antoine de Méan, dernier prince-évêque de Liège

(neveu de Constantin de Hoensbroeck, l'évêque précédent)

 

   

 200px-France 1800

  La République Française vers 1800

 


150px-Blason ville Liege Empire.svgBlason de la Ville de Liège sous le Premier Empire Français

 


(À suivre)

 

 

 

1 Jeannine BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française dans la Principauté de Liège, 1792-1795, dans Occupants-occupés, 1792-1815. Colloque de Bruxelles, 29 et 30 janvier 1968, Bruxelles, 1969, pp. 70-88 et 94 sv. : - Gazette nationale liégeoise, 7 décembre 1792 ;  - BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., p. 71.

2 Gazette nationale liégeoise, 3, 14 et 20 décembre 1792 ; − BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation..., p. 72. -Sur Pierre Lebrun-Tondu, qui s'appelait Tondu par son père et qui avait adopté le patronyme de sa mère "Lebrun", voir Philippe VANDEN BROECK, URL : http://dictionnaire-journalistes.gazettes18e.fr/journaliste/475-pierre-lebrun-tondu

3 Gazette nationale liégeoise, 7 décembre 1792 ; − BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., p. 72.

4 Gazette nationale liégeoise, 5, 7, 10 21 et 28 décembre 1792 ; − BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation..., p. 73.

5 Campagnes de Dumourier, t. 2, p. 127 ; − BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., p. 73.

6 Manuel du Républicain, n°5, pp. 215-225 ; − BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., p. 73.

7 BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., pp. 74 sv.

8 BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., pp. 75 et 86 sv.

9 BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., p. 75.

10 Gazette nationale liégeoise, 31 décembre 1792 ; − ARCHIVES DE L'ÉTAT À  LIÈGE, Fonds Français, Administration Centrale, liasse 3 (Comité militaire), 20 février - 3 mars 1793 ; − BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., p. 75.

11 BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., pp. 75 sv.

12 BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., p. 76.

13 BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., p. 76.

14 Gazette nationale liégeoise, 7 janvier 1793 ; − BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., p. 77.

15 Français Républicains, brochure de 16 pp., Paris, s.d., cfr BORGNET, Histoire de la Révolution liégeoise de 1789, t. 2, p. 242 ; − AEL, Fonds Français, Administration Centrale, liasse 4, 11 janvier 1793 ; − BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., pp. 77 sv.

16 AEL, FF, AC, liasse 4 (12 janvier 1793) ; liasse 5 (16 janvier au soir, 25 au 28, 30 janvier et 1erfévrier) ; − Gazette nationale liégeoise, 14 et 18 janvier 1793 ; − BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., p. 78.

17 AEL, FF, AC, liasse 4 ; − Gazette nationale liégeoise, 30 janvier 1792 ; − Manuel du Républicain, n° 1, p. 13 ; -  Lettre de Waleffe, président de la Municipalité de Liège, au général Miranda, général en chef de l’armée de la Belgique, Liège, 21 janvier 1793, dans CHUQUET (A.), Lettres de 1793, Paris, 1911, pp. 37 sv. ; – BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., pp. 78-80.

18 BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., pp. 80 sv. − Sur Behogne, cfr A. BOVY, Un révolutionnaire malchanceux, Augustin Behogne, dans La Vie Wallonne, Liège, 1933-1934, pp. 279 sv.

19 BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., pp. 81 sv.

20 Décret de la Convention Nationale rédigé par L. Carnot pour la réunion des communes du Pays de Franchimont, Stavelot et Logne à la République française, dans L. CARNOT, Correspondance générale, éd. CHARAVAY (É.), t. 1er, Paris, 1892, p. 392 ; – BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., pp. 82 sv.

21 AEL, FF, AC, liasse 5 (10, 14 et 15 janvier 1793) ; − BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française...,pp. 87 sv.

22 BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., pp. 94 sv.

23 Lettre des commissaires Delacroix, Camus, Gossuin et Merlin de Douai au président de la Convention nationale, Bruxelles, 25 février 1793 (dans F.A. AULARD, Recueil des Arrêtés du Comité de Salut Public, t. 2, Paris, 1889, pp. 205 sv.) ; − BAYER-LOTHE, Aspects de l'occupation française..., pp. 84 sv.

24 Moniteur, 10 décembre 1792 ; − F.-A. AULARD, Recueil des Arrêtés du Comité de Salut Public, t. 1er, Paris, 1889, pp. 304 sv.

25 ARCHIVES NATIONALES À PARIS, Série AF II, n° 232 ; – AULARD, RACSP, t. 1er, pp. 354 sv.


Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
V
I never equated those with the Latin i.
Répondre