LE PAYS DE LIÈGE ET LA FRANCE - La Révolution liégeoise de 1789 : Orientation radicale de la Révolution

Publié le par sorinabarjov

         Alors que Nicolas Bassenge déplorait en avril les manifestations en faveur de la suppression des Trois Ordres (les Trois États), Pierre François Soleure publiait ses Réflexions en faveur d'une Assemblée Nationale à la française1.

L'opposition de certaines villes à l'admission des représentants des campagnes avait été vaincue le 3 mai 1790 et des élections à deux degrés s'étaient faites en juin. Chaque communauté avait fait choix d'un électeur qui, réuni au district avec ceux des villages voisins, désigna le député à l'Assemblée du Tiers. Aucun désordre n'en résulta. Vingt sur vingt-trois qui devaient être élus prirent séance aussitôt dans la capitale. La majorité de ces représentants des campagnes appartenaient à la tendance la plus favorable à la Révolution. Cela provenait de l'obligation de prêter le serment civique, qui leur fut imposée. Le représentant de Rochefort, l'avocat Bleret, refusa le serment et ne siégea pas à Liège ; une élection fut annulée dans le Condroz pour une raison partiellement analogue. Cette appartenance des représentants des campagnes à la tendance la plus favorable à la Révolution était aussi due à la publicité des suffrages, à l'attitude qu'ils prirent plus tard à l'égard de l'organisation de la Régence et au fait qu'ils demeurèrent à Liège jusqu'en janvier 1791.

Les Bonnes villes de Dinant et Visé ayant fait défection dès le milieu de 1790, comme l'avaient fait auparavant presque toutes les Bonnes villes flamandes de la Principauté de Liège, les représentants des campagnes constituèrent l'élément majoritaire du Tiers-État.

Il devenait nécessaire, un an après l'insurrection victorieuse, de donner une forme définitive aux institutions. Pour cela il fallait procéder à l'élection d'un nouveau Conseil  communal selon un statut à déterminer. Ensuite faire choix d'un chef de l'État et arrêter les principes d'une nouvelle Constitution.

Cette fois la tendance la plus radicale devait l'emporter dans la Cité, sinon dans l'État. Le bourgmestre Fabry évolua vers la gauche, comme Henkart, qui se sépara de Chestret, pour  présenter avec Lebrun un  Plan de Municipalité  à la française. Chestret fut exclu sous le prétexte qu'il s'occupait déjà de l'armée.

Le Plan de Municipalité  était présenté à titre provisoire, pour régler le mode des élections municipales en juillet 1790 et pour cette fois seulement.

Il s'agissait, comme à Paris, de répartir en soixante sections tous les citoyens actifs  de Liège et de sa banlieue : tout individu de vingt-cinq ans, né à Liège ou ayant depuis cinq ans sa résidence et payant une somme de trois florins à la Caisse communale. Ce corps électoral aurait à élire deux Bourg­mestres et vingt Conseillers pour l'administration journalière et cent vingt Notables "auxquels seront référées les affaires les plus importantes". Électeurs et élus devaient prêter le serment civique.

Sur plus ou moins 15.000 citoyens actifs, 1.081 seulement se firent inscrire et versèrent la cotisation prescrite, destinée à indemniser les membres des anciennes Chambres qui avaient acquis leurs places à titre onéreux.

Le 27 juillet 1790 Fabry fut réélu Bourgmestre par 962 voix sur 1015 suffrages exprimés ; il eut pour collègue l'avocat Donceel qui recueillit 718 voix.

Le 28 juillet eut lieu l'élection des Conseillers : Bassenge obtint 738 suffrages... Furent aussi élus : Lesoinne, Defrance, le chevalier Donceel (fils du susnommé), Levoz, Digneffe, de Cologne, Reynier, etc...

Le  1er août enfin furent élus les 120 Notables, à raison de deux par section.

Le scrutin consacrait la victoire de la gauche des modérés et du parti démocratique et radical.

La cotisation réclamée représentait trois à six fois le salaire journalier d'un ouvrier, ce qui était de nature à exclure des élections de larges couches populaires.

Question du Pouvoir exécutif : ni en fait, ni en droit, le siège épiscopal n'était vacant, donc on ne pouvait, comme au Moyen Âge, désigner un Mambour.

Le prince Ferdinand de Rohan Guéménée, archevêque de Cambrai, ex-archevêque de Bordeaux, bien vu de Fabry, Chestret et Bassenge, après avoir courtisé le Prince de Liège en vue d'une coadjutorerie, − ce qu'il avait aussi fait avec les cours de Versailles et Berlin par l'intermédiaire de Béthune Charot, intrigant, membre du Chapitre de Saint-Lambert, − apparut comme le  deus ex machina  susceptible de résoudre l'imbroglio du pouvoir exécutif.

Puisque Mambour il ne pouvait y avoir, on donna à Rohan Guéménée le titre de Régent de la Nation Liégeoise.

Le 8 septembre 1790 le Tiers vota l'Acte constitutionnel qui organisait cette Régence. Le 12 septembre les deux autres Ordres en firent autant après modifications du texte.

         La déchéance de Hoensbroeck n'étant pas proclamée, il s'agissait d'un pouvoir provisoire. Le Tiers aurait voulu que le pouvoir réel fût confié au Conseil de régence, mais il ne put faire  prévaloir son avis.

Les lois seraient promulguées au nom du Régent en vertu du pouvoir à lui délégué par le Sens du pays (selon les termes du Moyen Âge), c'est-à-dire la Nation.

Le Régent dut jurer "de maintenir les principes de la Révolution du 18 août 1789". Le Tiers aurait voulu ajouter : "en défendant en tout et en tout mon pouvoir les Droits de l'homme et du citoyen" ;  les deux autres États, eux, auraient voulu ajouter : "de défendre la Constitution du Pays".

Les pouvoirs du Régent étaient réduits. Il jouissait du droit de grâce, ne présidait pas le Conseil de régence et n'en désignait pas les membres, ne nommait ni aux charges, ni aux offices (sauf à quelques fonctions judiciaires). Mais il possédait un droit de vélo suspensif de deux jours sur les lois, avec faculté de demander une nouvelle délibération. Une liste civile lui était affectée.

Lui était adjoint un Conseil de régence de six membres (deux nommés par chaque État),  renouvelable par moitié chaque année, qui assumait véritablement le Pouvoir exécutif.

Il y avait incompatibilité entre le mandat de Conseiller et celui de Député aux États.

Le Tiers ne put empêcher que le Conseil de régence ne s'ingérât dans l'organisation  communale.

Le Tribunal des XXII subsistait comme garantie de la responsabilité ministérielle.

Aucun changement n'était apporté aux Trois États.

 C'était donc une constitution qui conciliait l'esprit du passé avec les nouveaux principes des Révolutions américaine et française.

 Un mois plus tard (vers le 12 octobre) le Bourgmestre Donceel déposait un nouveau projet de Constitution émanant du club qui s'était créé à Liège à l'instar des Jacobins de Paris.

 Le Tiers en saisit l'État primaire le 18 octobre, mais on a perdu toutes traces de ce texte qui, selon l'historien Paul Harsin, n'aurait été adopté, ni même discuté2.

 Par contre, dans le Franchimont, en juillet 1790, Dethier, Melchior Fyon et A.J. Delrée,  au nom de la Société des révolutionnaires franchimontois, demandèrent au Magistrat de Theux un local pour y tenir leurs séances. Ils parlaient d'une "Société des Amis de la Liberté" dont ils exposaient le programme : étendre leur mouvement partout en prenant pour modèle "la forme vraiment admirable de l'association maçonnique", établir des clubs en forme de loges filiales "des principaux clubs patrio­tiques et révolutionnaires de Paris et de Londres"3.

 Le 16 août 1790 tout un projet de Constitution franchimontoise fut élaboré, avec un Exécutif de cinq membres, un Congrès possédant le Pouvoir législatif, un Pouvoir judiciaire de neuf membres : tous tenaient leur mandat du Peuple souverain après une élection à deux degrés.

 Aussi, grande fut la colère des Franchimontois en apprenant qu'à Liège on voulait organiser un nouveau Pouvoir exécutif sous forme de Régence.

 Le  1er septembre 1790 eut lieu une réunion d'un Congrès des "chefs" des villes et villages du Franchimont. Avant le 8 septembre Dethier, Fyon, Brixhe et Depresseux se rendirent à Liège pour protester contre la nomination d'un Mambour et insister pour la réunion d'une Assemblée nationale : pourquoi un Mambour si l'on ne voulait plus d'un Prince-évêque ?

 Les extrémistes liégeois excitèrent le peuple. Fabry fut insulté. L'émigration se développa dans le Franchimont.

  Le 22 septembre 1790 le Congrès franchimontois vota une réforme de la procédure des cours de justice, s'inspirant des principes qui triomphaient à Paris.

 

 

 

1 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 113-120.

2 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 113-120. − Un projet de club patriotique, où les affaires se traiteraient publiquement, est évoqué par Dethier dans une lettre de Liège à Depresseux, datée du 1er juillet 1790 (MEUNIER, Un acteur de la Révolution liégeoise, L.F. Dethier..., [1ère partie], dans le Bulletin de la Société Verviétoise d'Archéologie et d'Histoire, t. 44, p. 43).

3 HARSIN, La Révolution liégeoise...., pp. 113-120 ; – pour la pétition, cfr MEUNIER, Un acteur de la Révolution liégeoise..., dans le B.S.V.A.H., t. 44, pp. 37 sv.


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