LE PHILOSOPHE JACQUES DERRIDA ET LA DIVERSITÉ CULTURELLE (introduction)

Publié le par sorinabarjov

 

La notion de  « diversité culturelle »  peut sembler problématique dans la mesure où la culture y est reléguée au rang d’attribut, comme si la diversité  « culturelle »  n’était qu’une des facettes d’une diversité plus large, qui pourrait se dire tantôt biologique, tantôt ethnique, tantôt religieuse, et en plus  « culturelle » .

Le mot de  « culture »  est d’ailleurs lui-même ambigu : selon qu’il est vu sous l’angle de ce qu’il recouvre dans la tradition anglo-germanique, ou au contraire dans la tradition latine, exportée elle-même vers l’Afrique et l’Amérique.

Dans le premier cas, il s’agit des façons d’être, des goûts, des comportements et des modes de vie qui singularisant un groupe social et faisant son génie particulier ; dans l’autre cas, le mot désigne plutôt des productions dans lesquelles se retrouvent des traits esthétiques et éthiques qui font de chaque culture particulière un vecteur de communication d’un peuple à l’autre au regard des valeurs universelles qu’elle produit. Pour beaucoup de gens,  « culture »  s’oppose donc à  « barbarie » .

Le premier modèle est un modèle patrimonial. Les cultures du monde sont alors assimilées à autant de richesses héréditaires. Elles sont constituées de monuments, de documents oraux ou écrits qu’il faut préserver ; elles constituent un patrimoine qui se reçoit et se lègue.

Un second modèle de discours est biologique. Il implique que la culture fonctionne comme un organisme. On parle alors de  « vie culturelle »  et l’on admet qu’elle évolue, qu’elle peut donner prise au métissage, à des formes importées volontairement ou qui proviennent d’ailleurs. Le modèle biologique est à l’œuvre lorsque l’on parle de  « seuil de tolérance »  au sujet, par exemple, de la proportion de chansons en français par rapport aux productions en langue anglaise, ou que l’on exige des chaînes de télévision un quota de productions en langue nationale.

Le troisième modèle est dialogique. Une culture s’analyse alors selon le mouvement des forces qui la composent, forces à la fois internes et externes, liées aux cultures avoisinantes ou à celles qui, dans le mouvement de l’histoire, ont croisé la première. Ainsi on peut illustrer la variété des cultures de l’Europe en montrant comment les interactions entre peuples, cultures, classes, États, y ont tissé une unité elle-même plurielle et contradictoire.

Dans la ligne de ce troisième modèle, il me semble utile de relever que le  « dialogue des cultures »  n’est pas évident. Rappelons que  « toute culture est originairement coloniale » ,  comme le signale l’étymologie ( « colonial »  et  « culture »  viennent du latin coleo – je cultive ) et qu’elle s’institue par l’imposition unilatérale d’une politique de la langue.

Le dialogue des cultures retrouvera sans nul doute cette problématique de la traduction, et celle de la norme des langues. En effet la traduction est à la fois appropriation et expropriation - elle réalise le désir de faire sien le texte de l’autre et de l’en évincer, comme la colonisation exprima souvent la volonté de faire sienne la terre de l’autre et de l’en expulser - mais elle est aussi une des voies qui permettent de poser et de dépasser, par le dialogue, le conflit des langues.

 

Signature Derrida

Dédicace de Jacques Derrida pour Maria Smâdu, professeur

de littérature à l'Université de Bacàu (Roumanie)

Publié dans DERRIDA et les autres

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