LE PAYS DE LIÈGE ET LA FRANCE - La Révolution liégeoise de 1789 : oppositions et conflits de tendances.

Publié le par sorinabarjov

Oppositions et conflits de tendances1

Pendant le dernier trimestre de 1789 et le premier de 1790, la Révolution liégeoise piétina. L'occupation militaire prussienne en arrêta les "excès possibles", mais en consolida les premiers résultats.

Le dialogue se poursuivit entre Frédéric-Guillaume II et Hoensbroeck autour d'un projet de transaction, avec restauration au moins provisoire de l'ancien ordre des choses ; il n'aboutit à rien.

La Chambre impériale suspendit de nouvelles mesures d'exécution.

Le projet d' «Union des Belges et des Liégeois» (sous un régime intérieur de leur choix) sous la protection de la Prusse échoua.

Voyons  maintenant  quel  fut  le  comportement  des   différents  "partenaires sociaux", des diverses forces sociales de  l'époque en présence dans le Pays de Liège envers la Révolution.

 

La Cité de Liège2 :

  Pour les uns la Révolution était achevée. Tout au plus convenait-il de mettre en forme cons­titutionnelle les changements effectués. Et encore, pouvait-on concevoir cette régularisation par les moyens traditionnels ? C'est ainsi que Nobles et Chanoines l’entendaient : un recès unanime des Trois États et la sanction du Prince avec la signature de Chancelier.

  Mais en l'absence du Prince on pouvait concevoir aussi : soit un mode de délégation du Pouvoir exécutif, soit une coadjutorerie, soit une sorte de régence temporaire, à savoir la désignation d'un Mambour, comme au Moyen Âge.

  Mais pour d'autres ce n'était là qu'une première étape. Avant tout frappés du caractère dynamique de la Révolution française, certains auraient voulu voir disparaître les Ordres et se réunir une véritable Assemblée nationale, qui aurait bâti une nouvelle Constitution, avec à la base une Déclaration des droits de l'homme, et au sommet une sorte de Directoire républicain.

  Enfin, à ces deux courants, le conservateur et le progressiste, s'ajoutait celui qui se manifestait sporadiquement en un mouvement de masse, foncièrement populaire, quoique parfois mené par quelques individualités de second ordre. C'est celui qui avait assuré le succès de la Journée du 18 août, qui avait obtenu le 25 août l'abolition des impôts et qui, en octobre, avait tenté vainement de faire disparaître la garde patricienne.

  Au sein du Conseil de la Cité les deux premières tendances seules étaient représentées, mais cela suffisait à donner aux séances une chaleur et une effervescence que toutes les sources soulignent.

  Au surplus, la tendance conservatrice, − comme d'ailleurs la progressiste, − était loin d'être homogène. Elle était représentée d'abord par le baron de Chestret, Bourgmestre régent  élu par acclamations le 18 août, dont l'attitude, comme celle de Fabry, fut plus radicale avant la Révolution qu'à son lendemain. Très hostile à Hoensbroeck, peu sympathique au Chapitre de Saint-Lambert et au Clergé, il passait en 1788 pour un partisan de la liquidation du régime épiscopal. S'il conserva toujours une attitude peu favorable au Prince, il n'entendait pourtant apporter à la Constitution liégeoise que des réformes limitées, ou plus exactement il se contentait de la restauration du système qui avait fonctionné avant 1684. Pour lui la Révolution s'était achevée le 12 octobre 1789, sous réserve de trouver le moyen d'assumer l'exercice du Pouvoir exécutif. Il n'hésita pas à désavouer la tendance du parti progressiste et à s'opposer à l'organisation d'une municipalité à la française, − ce qui lui valut son exclusion de la Magistrature en juillet 1790. Cette attitude, partagée au début par Henkart et par l'avocat Bailly, le conduira même en 1791 à dissocier sa cause de celle de tous ses amis et à plaider, par l'intermédiaire du gouvernement autrichien, son retour dans sa patrie, d'où il avait été proscrit par Hoensbroeck.

  J.J. Fabry, âgé de soixante-sept ans à la Révolution liégeoise, avait déjà une carrière bien remplie derrière lui. Il avait d'ailleurs cherché à devenir à Liège une sorte de résident prussien ou anglais. Malgré son peu de penchant pour la politique française, il exprima à plusieurs reprises son admiration pour l'Assemblée nationale, par exemple le 1erjuillet 1789. Mais à partir du moment où un mouvement populaire le porta à la Magistrature, il parut vouloir se contenter, comme Chestret, d'une simple res­tau­ration de la Constitution ancienne du Pays de Liège. Son peu de sympathie pour Hoensbroeck, − provoqué par la révocation de son fils Hyacinthe comme Sous mayeur en 1786, − sa défiance envers le Clergé, son orientation intellectuelle et philosophique le conduisaient plutôt dans le camp progres­siste. Mais ce n'est qu'après le premier trimestre de 1790 qu'il le rallia. Il éprouvait en effet une grande méfiance envers les "bavards, agités et extrémistes". Il leur préférait même "le peuple", malgré ses "excès".

 

Fabry

J.J. Fabry

 

  À partir de la fin novembre 1789 se posa la question de l'union avec les "Belges" (plus exactement, les gens des Pays-Bas autrichiens) révoltés pour former une république. Des négociations plus ou moins secrètes s'établirent entre Liège et Bruxelles, mais n'allèrent jamais jusqu'à des propositions très concrètes. Malgré l'antinomie présentée par les deux révolutions, il est assez curieux d'observer qu'un Chestret et un Fabry envisageaient avec une certaine sympathie tout projet d'union. Ce n'est qu'en mai 1790 que l'opposition des démocrates liégeois finit par l'emporter et par rendre inutiles ces négociations. Une Belgique avant la lettre, ça n'intéressait pas les Liégeois du Pays de ce nom, la plus grand partie de la Wallonie politique actuelle !

  Bassenge dénonçait encore en mars 1790 comme de "mauvais citoyens" ceux qui parlaient d'Assemblée nationale liégeoise. En effet, dans une lettre à Dethier du 12 janvier 1790 nous le voyons espérer que l'évêque n'accepte pas les propositions des patriotes, comptant sur la Prusse pour aider ceux-ci à changer la face de l'État liégeois3.

  Parmi les protagonistes de tendance progressiste, citons l'avocat Donceel, qui devint Bourg­mestre avec Fabry en 1790 ; Soleure, qui fit campagne pour la disparition des Ordres ; Reynier ; De Cologne.

  Plus "à gauche", Levoz, Gosuin, Defrance, Smits (collaborateur de Lebrun le futur ministre "girondin"), Digneffe, etc... parlaient de "seconde Révolution", d'imitation de la France, et leurs vues triomphèrent au milieu de 1790. En attendant, leur influence se manifestait au sein du Conseil de la Cité, que Chestret considérait comme une "pression" dès le 1er novembre 1789.

 

Les Bonnes villes4:

  En novembre 1789, à l'approche des troupes exécutrices du Directoire du Cercle de Westphalie, les villes flamandes, à l'exception de Tongres, se soumirent au décret de la Chambre impériale et rétablirent les magistrats dépossédés de leur charge en août. Citons, pour Tongres, le patriote Grouwels ; pour Saint-Trond, Mauger.

  En Wallonie principautaire, la ville de Dinant était réactionnaire : dès mai 1790 elle rappela son représentant aux États, désavouant la Révolution liégeoise. La ville de Visé en fit de même en juillet 1790. àHuy une pétition circula parmi la haute bourgeoisie en faveur d'un retour au passé. àVerviers les gros industriels (Simonis, Biolley) étaient favorables à la restauration princière. La Thudinie (région de l'ouest du Pays de Liège, avec pour ville principale Thuin) était divisée, malgré l'action énergique des patriotes Mengal à Thuin même, Demaret à Châtelet et Gigot à Couvin. Pour la petite ville de Ciney (Condroz), citons le patriote Lambot.

 

Les campagnes et le Pays de Franchimont5:

La représentation des campagnes fut seulement admise, dans le principe, le 7 mars 1790 ; mais elle ne fut effective qu'à partir du 3 mai suivant, après un ultimatum des Franchimontois.

 Comme il y avait vingt-trois Bonnes villes, il y eut également vingt-trois districts ruraux, mais l'élection à ceux-ci n'eut lieu qu'en juin 1790, non sans parfois de sérieuses difficultés. Dans la Thudinie, le mouvement de revendication fut finalement étouffé par la contre-offensive des gros propriétaires terriens, en l'occur­rence les abbayes d'Aulne et de Lobbes

Dans le Pays de Franchimont, quelques protagonistes :

- Laurent François Dethier, avocat, bourgmestre de la ville de Theux en 1788, chef du parti opposé à la famille de Limbourg, fort imprégné des doctrines philosophiques françaises. Il convoqua le Congrès de Polleur et fut le représentant du marquisat de Franchimont à l'État Tiers.

- Jean Guillaume Brixhe, (1758-1807), bourgmestre de Spa, notaire, secrétaire du Congrès de Polleur, suppléant de Dethier aux États, plus tard rédacteur du  Code de droit public des pays de Franchimont, Stavelot et Logne...  contenant tous les procès-verbaux du Congrès de Polleur.

  - L.N. Depresseux, ancien bourgmestre de Theux.

  - J.J. Fyon, maître des postes impériales, Bourgmestre de la ville de Verviers en 1779 et en 1789, colonel d'un des régiments liégeois qui allaient combattre contre les troupes exécutrices.

 

 

1 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 75-86.

2 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 87-92.

3 J. MEUNIER, Un acteur de la Révolution liégeoise, l'avocat L.F. Dethier (1757-1843), géologue et publiciste, [1ère partie], dans le Bulletin de la Société Verviétoise d'Archéologie et d'Histoire, t. 44, Verviers, 1957, p. 26.

4 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 93 sv.

5 HARSIN, La Révolution liégeoise..., pp. 95-100.


Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article